Mémoires sur À la manière de Borodine, M.63/1 (1914) de Maurice Ravel, information, analyse et tutoriel de performance

Aperçu général

“À la manière de Borodine, M.63/1” est une courte pièce pour piano de Maurice Ravel, composée en 1912-1913. Elle fait partie d’un diptyque de pièces humoristiques ou de pastiches, l’autre étant “À la manière de Chabrier”.

Voici un aperçu général de cette œuvre :

Pastiche musical : Comme son titre l’indique, la pièce est écrite “à la manière de” Borodine, un compositeur russe dont Ravel admirait la musique, notamment pour ses couleurs orchestrales et son lyrisme. Ravel ne copie pas une œuvre existante de Borodine, mais imite son style caractéristique.

Style : La pièce est souvent décrite comme une valse. Elle évoque l’atmosphère et l’idiome musical de Borodine, avec des mélodies lyriques et un sens de la narration, bien que cela soit traité avec la finesse et l’harmonie raffinée propres à Ravel.

Un clin d’œil à Borodine : On y retrouve des éléments qui font penser au compositeur russe, comme une certaine mélancolie slave, un lyrisme chaleureux et un côté poétique. Ravel parvient à capturer l’esprit de Borodine tout en conservant sa propre signature musicale.

Contexte : Ces deux pièces, “À la manière de Borodine” et “À la manière de Chabrier”, ont été écrites à la demande de l’éditeur de Ravel, pour être publiées dans un recueil de pastiches de compositeurs français de l’époque, ce qui explique leur caractère d’hommage et d’imitation stylistique.

Bref et concis : La pièce est assez courte, comme la plupart des pièces du recueil. C’est une miniature, un instantané du style de Borodine vu à travers le prisme de Ravel.

En résumé, “À la manière de Borodine” est un charmant hommage musical où Ravel, avec son talent de faussaire génial, parvient à incarner le style lyrique et poétique d’Alexandre Borodine tout en y apposant sa propre griffe, dans une courte pièce pour piano.

Histoire

L’histoire d'”À la manière de Borodine” est intimement liée à une amitié et à un jeu d’esprit entre musiciens parisiens du début du XXe siècle. L’idée de la pièce n’est pas venue de Ravel lui-même, mais d’un ami et compositeur, Alfredo Casella. Ce dernier avait déjà écrit une série de six pastiches musicaux en 1911 et a proposé à Ravel de s’associer à lui pour créer une nouvelle série de “portraits musicaux” à la manière d’autres compositeurs.

Ravel a accepté ce défi, et a choisi deux figures qu’il admirait profondément : Emmanuel Chabrier, pour sa musique française pleine de vitalité et de clarté, et Alexandre Borodine, un des compositeurs du célèbre “Groupe des Cinq” russe. Ce choix de Borodine était d’autant plus significatif que Ravel et ses amis, un cercle d’artistes et d’intellectuels parisiens se surnommant “Les Apaches”, avaient adopté un thème de la Deuxième Symphonie de Borodine comme leur signe de ralliement secret.

Ainsi, Ravel a composé “À la manière de Borodine” en 1912-1913. La pièce est une valse pour piano, mais c’est une valse qui n’a rien de parisien. Au contraire, elle est imprégnée du lyrisme et du chromatisme qu’il associait à Borodine. On y retrouve une mélancolie slave, un souffle poétique et des harmonies qui évoquent le style du compositeur russe, tout en restant dans le langage musical raffiné et élégant de Ravel.

La pièce, ainsi que sa compagne “À la manière de Chabrier”, fut finalement publiée en 1914. Elles furent créées en public le 10 décembre 1913 à la salle Pleyel, lors d’un concert de la Société musicale indépendante. Ce concert a marqué la naissance de ce diptyque qui n’était pas seulement une démonstration de virtuosité pianistique, mais aussi un hommage affectueux et plein d’humour à deux maîtres que Ravel chérissait. La pièce est depuis lors restée un exemple parfait du génie de Ravel à s’approprier un style étranger pour le sublimer avec sa propre signature.

Caractéristiques de la musique

“À la manière de Borodine” de Maurice Ravel est une pièce qui illustre parfaitement l’art du pastiche, où l’artiste ne se contente pas de copier, mais s’imprègne de l’esprit de son modèle pour créer une œuvre originale et personnelle. Dans cette courte valse pour piano, Ravel s’approprie les caractéristiques musicales de Borodine avec une finesse et une intelligence remarquables.

La composition se distingue par plusieurs traits musicaux distinctifs qui font écho au style du compositeur russe :

Une atmosphère lyrique et mélancolique : La pièce est empreinte d’une mélodie expressive et chaleureuse, typique du lyrisme de Borodine, souvent associé à l’âme russe. Ravel parvient à capturer cette expressivité avec des lignes mélodiques qui semblent respirer, portées par un tempo “Allegro giusto” qui les rend à la fois vives et élégantes.

Des harmonies et des couleurs orchestrales : Bien que la pièce soit écrite pour piano seul, Ravel utilise le clavier pour suggérer les sonorités d’un orchestre. On retrouve des harmonies riches et des dissonances expressives qui sont caractéristiques du romantisme russe. Le compositeur emploie fréquemment des accords de septième et de neuvième qui créent une atmosphère sonore luxuriante et une profondeur d’harmonie, rappelant l’écriture orchestrale de Borodine.

Le jeu sur les pédales et les ostinatos : Ravel utilise habilement la pédale de soutien pour créer des “pédales harmoniques” qui donnent l’impression que la mélodie flotte au-dessus d’une base sonore persistante. Cette technique, alliée à des motifs rythmiques répétés (ostinatos), est un clin d’œil à l’écriture de Borodine, notamment à l’effet de bourdon qui donne un sentiment d’ancrage et de couleur sonore.

Une forme de valse bien structurée : Malgré le caractère impressionniste et le pastiche, la pièce suit une forme claire et classique, une valse en ré bémol majeur avec une structure binaire et une coda. Cette clarté formelle est une marque de fabrique de Ravel, qui, même dans ses œuvres les plus “impressionnistes”, a toujours conservé un sens aigu de la structure et de la logique musicale, en contraste avec le style plus libre de certains de ses contemporains.

En somme, “À la manière de Borodine” n’est pas une simple imitation, mais une interprétation du style de Borodine par un Ravel qui a assimilé les éléments de son modèle pour les fusionner avec sa propre écriture. Il en résulte une œuvre qui, en évoquant la musique russe, est indéniablement et profondément ravélienne, témoignant de sa maîtrise technique et de sa capacité à créer des atmosphères musicales uniques.

Style(s), mouvement(s) et période de composition

Période et Mouvement

“À la manière de Borodine” a été composée par Maurice Ravel en 1912-1913, ce qui la place au cœur de la période de la musique moderne, plus précisément dans les dernières années du symbolisme et de l’impressionnisme musical. Ravel est souvent considéré comme l’une des figures de proue de ces mouvements, bien qu’il ait toujours cherché à se démarquer des étiquettes.

Un Dialogue entre Tradition et Innovation
La pièce est un exemple parfait du style de Ravel, qui est à la fois novateur et profondément enraciné dans la tradition.

Novatrice : L’œuvre est novatrice par son approche de l’harmonie. Ravel y utilise des accords complexes (neuvièmes, onzièmes), des dissonances expressives et des superpositions de tonalités qui sont caractéristiques de son style d’alors. Il s’éloigne des règles strictes du classicisme pour explorer de nouvelles sonorités, un peu comme ses contemporains impressionnistes.

Traditionnelle : Cependant, Ravel n’a jamais abandonné l’attachement aux formes classiques et à une certaine clarté structurelle. La pièce est une valse, une forme traditionnelle. De plus, elle est un pastiche, c’est-à-dire une œuvre qui imite le style d’un autre compositeur. Dans ce cas, il s’agit d’Alexandre Borodine, un compositeur de la période romantique et nationaliste russe.

Un Carrefour de Styles

La pièce est un mélange fascinant de plusieurs influences et styles :

Impressionniste et symboliste : Le traitement du piano, avec l’utilisation de la pédale et des ostinatos pour créer des atmosphères sonores et des couleurs, est typiquement impressionniste. L’ambiance générale est plus évocatrice que narrative.

Romantique et Nationaliste : Ravel rend hommage à Borodine en reprenant des éléments de son style : des mélodies lyriques et expressives, une certaine mélancolie slave et un côté narratif. C’est le style romantique et nationaliste de Borodine qui est imité, montrant l’admiration de Ravel pour la musique russe.

Néoclassicisme : Bien qu’il soit plus clairement identifiable dans ses œuvres ultérieures comme Le Tombeau de Couperin, le néoclassicisme est déjà présent ici par l’attachement à une forme claire et classique (la valse) qui contraste avec la richesse et l’audace de l’harmonie.

En conclusion, “À la manière de Borodine” est une œuvre qui témoigne de la complexité du style de Ravel. Elle est à la fois une pièce moderne, novatrice dans son langage harmonique et sa sonorité, et un hommage traditionnel à un compositeur romantique, le tout dans un cadre formel classique.

Analyse: Forme, Technique(s), texture, harmonie, rythme

L’Analyse musicale de “À la manière de Borodine”
“À la manière de Borodine” de Maurice Ravel est une pièce qui, sous ses airs de valse simple, révèle une grande sophistication technique et structurelle. Elle est un exemple parfait de la capacité de Ravel à imiter un style musical tout en y apportant sa propre signature.

La Méthode et les Techniques
La méthode de Ravel pour ce pastiche est celle de l’imitation stylistique. Il ne copie pas littéralement une mélodie de Borodine, mais s’approprie les caractéristiques de son style pour les transposer dans son propre langage musical. La technique principale est la transcription pianistique d’une pensée orchestrale. Ravel utilise les sonorités et les dynamiques du piano pour évoquer la richesse et la couleur d’un orchestre symphonique, à la manière de Borodine, dont la musique était particulièrement célèbre pour son instrumentation.

La Texture et la Forme
La texture de la musique est principalement homophonique, avec une mélodie claire et expressive dans la main droite, accompagnée d’un accompagnement harmonique dans la main gauche. Cependant, on peut entendre des moments de polyphonie subtile, notamment lorsque la mélodie principale est doublée ou enrichie par d’autres lignes mélodiques qui se meuvent de manière indépendante.

La forme est celle d’une valse A-B-A’, avec une coda. C’est une structure simple et claire, mais Ravel y apporte des variations et des développements.

Partie A : La valse principale est présentée, avec sa mélodie lyrique et mélancolique.

Partie B : Un passage plus contrasté, souvent plus lyrique et avec un changement de mode (passant du majeur au mineur) ou de tonalité.

Partie A’ : Le retour de la valse principale, souvent avec des variations subtiles dans l’accompagnement ou l’harmonie.

Coda : La pièce se termine par une section conclusive qui reprend des motifs de la valse.

L’Harmonie, la Gamme et le Rythme
Tonalité : La tonalité principale est en ré bémol majeur (

D♭
major), une tonalité souvent associée au lyrisme et à une certaine douceur. La pièce utilise des modulations et des emprunts harmoniques qui enrichissent la palette sonore.

Harmonie : L’harmonie est à la fois romantique et moderne. Ravel utilise des accords de septième et de neuvième qui créent des couleurs sonores complexes et expressives. Il y a aussi des dissonances non résolues et un chromatisme qui renforcent l’atmosphère mélancolique de la pièce.

Gamme : La gamme utilisée est la gamme diatonique (majeure) de ré bémol, mais Ravel y insère des notes chromatiques et des motifs qui évoquent les gammes exotiques ou orientales, ce qui est une autre caractéristique de la musique de Borodine.

Rythme : Le rythme est celui d’une valse, avec une mesure à trois temps 3/4 bien marquée. Le tempo est “Allegro giusto”, ce qui signifie “rapide, mais juste”, ce qui donne à la musique un caractère à la fois vif et élégant. L’utilisation d’ostinatos dans l’accompagnement (une répétition de motifs rythmiques) est une technique empruntée à Borodine qui ajoute un caractère hypnotique et persistant à la pièce.

Tutoriel, conseils d’interprétation et points importants de jeu

Introduction

Jouer “À la manière de Borodine” de Ravel, c’est comme s’engager dans une conversation avec deux maîtres. D’un côté, il y a la passion lyrique d’Alexandre Borodine, et de l’autre, le raffinement et l’élégance de Ravel. Pour réussir cette pièce, il faut trouver l’équilibre entre la mélancolie russe et la clarté française. Voici un tutoriel, des conseils d’interprétation et des points clés pour vous guider.

1. La Valse Lyrique et Souple

La pièce est une valse, mais elle est loin d’être un simple morceau de danse. Concentrez-vous sur un tempo “Allegro giusto”, ce qui signifie “assez rapide, mais avec un sentiment de justice et de justesse”. Ne vous précipitez pas ; le lyrisme de la mélodie a besoin de respirer.

Le rubato : Ravel n’indique pas de rubato, mais pour capturer l’esprit romantique de Borodine, vous pouvez légèrement accélérer et ralentir à certains endroits. L’idée est de faire chanter la mélodie, pas de la jouer mécaniquement.

La main droite : La mélodie doit être cantabile, c’est-à-dire “chantante”. Utilisez un toucher profond et souple pour que chaque note ait du poids. Pensez à la mélodie comme une voix de violoncelle ou de cor dans un orchestre, avec une sonorité pleine et chaleureuse.

2. Le Rythme de l’Accompagnement

La main gauche, en plus de fournir l’harmonie, maintient le rythme de valse. L’équilibre est crucial.

Le premier temps : Le premier temps de la mesure à

3/4

est lourd et accentué. Donnez-lui une impulsion, mais évitez qu’il soit trop lourd. Il doit lancer le mouvement de la mesure.

Le deuxième et le troisième temps : Les deux temps suivants sont plus légers et accompagnent délicatement le premier temps. Pensez à un pizzicato de cordes ou à un léger coup de cymbales. Le but est de créer un rythme fluide et dansant.

L’ostinato : Ravel utilise un ostinato rythmique dans le premier thème. Assurez-vous que cet ostinato reste régulier et stable. C’est la fondation sur laquelle la mélodie se déploie.

3. Les Harmonies et la Pédale

La pièce est riche en harmonies qui créent une atmosphère particulière. La pédale est essentielle pour en révéler toute la splendeur.

Le “son ravélien” : C’est le résultat d’un usage judicieux de la pédale. Changez de pédale à chaque changement d’accord pour éviter la boue, mais gardez le doigté legato. Parfois, une note de la mélodie est tenue plus longtemps que les autres, créant une résonance subtile qui ajoute de la richesse à l’harmonie.

Les dissonances : Ravel utilise des accords de neuvième et des dissonances pour ajouter de la tension et de la couleur. N’ayez pas peur de ces dissonances. Laissez-les s’exprimer et résonner ; elles font partie intégrante de la beauté de la musique.

4. Les Points Importants à Travailler

La clarté : Même si vous utilisez la pédale, gardez toujours un sens de clarté. Chaque voix doit être audible. Travaillez la mélodie et l’accompagnement séparément avant de les combiner.

Le caractère : Au-delà de la technique, l’interprétation est la clé. Pensez à ce que Ravel essaie de dire. C’est une conversation entre deux époques, deux styles. Le passage du thème lyrique à la partie plus intime et plus mélancolique doit se faire naturellement.

Les nuances : Les indications de nuances de Ravel sont précises et doivent être respectées. De “p” à “ff”, chaque nuance a un sens. Ne surchargez pas l’interprétation. Les nuances subtiles sont aussi importantes que les grandes envolées.

En résumé, pour réussir cette pièce, vous devez trouver le juste milieu entre l’expression romantique et la clarté formelle. N’hésitez pas à écouter les enregistrements de grands pianistes pour vous inspirer, mais n’oubliez pas de trouver votre propre voix dans cette belle valse.

Enregistrements célèbres

En dépit d’être une pièce courte et souvent considérée comme une miniature, “À la manière de Borodine” a été enregistrée par de nombreux grands pianistes, souvent dans le cadre d’intégrales des œuvres pour piano de Ravel.

Voici une sélection d’enregistrements célèbres, classés par type d’interprétation :

Les enregistrements historiques et de la grande tradition

Ces enregistrements témoignent d’une époque où l’interprétation était souvent plus libre et expressive, avec une attention particulière à la poésie et à la couleur.

Vlado Perlemuter : C’est une référence incontournable pour l’intégrale Ravel. Perlemuter a travaillé avec le compositeur lui-même, et ses interprétations sont donc d’une authenticité rare. Son “À la manière de Borodine” est à la fois lyrique et d’une clarté cristalline, avec une compréhension intime des nuances de Ravel.

Robert Casadesus : Une autre figure de la grande tradition française. Casadesus apporte une élégance et un raffinement qui sont caractéristiques de l’école française, avec une parfaite maîtrise du rythme et une sonorité claire et élégante.

Samson François : L’interprétation de Samson François est plus romantique et personnelle. Il privilégie la poésie et la liberté du phrasé, ce qui confère à sa version une mélancolie plus prononcée, tout à fait dans l’esprit du pastiche de Borodine.

Les enregistrements standards et contemporains

Ces enregistrements sont souvent le fruit d’une recherche plus poussée des intentions du compositeur, avec une grande fidélité à la partition et une virtuosité technique impressionnante.

Jean-Yves Thibaudet : L’intégrale de Ravel de Thibaudet est très acclamée. Son jeu est à la fois virtuose et poétique, et sa version d’ “À la manière de Borodine” est d’une grande fluidité. Il met en évidence les couleurs et les harmonies de la pièce avec une transparence remarquable.

Martha Argerich : Bien qu’elle n’ait pas enregistré l’intégrale de Ravel, ses enregistrements de ses œuvres sont légendaires. Son style fougueux et passionné, allié à une technique irréprochable, donne une intensité particulière à la pièce.

Angela Hewitt : Connue pour sa clarté et son intelligence musicale, l’interprétation d’Angela Hewitt est une référence moderne. Elle met en lumière la structure de la pièce tout en respectant son caractère poétique.

Steven Osborne : Son enregistrement est reconnu pour sa sonorité impeccable et son interprétation pensée de manière très analytique, tout en conservant l’émotion et la poésie. Il est souvent cité comme une référence pour l’intégrale des œuvres pour piano de Ravel.

Seong-Jin Cho : Plus récemment, cet enregistrement a été salué pour sa maîtrise technique et la maturité de son interprétation, soulignant l’aspect orchestral de la pièce.

Ces enregistrements offrent un large éventail d’interprétations, du romantisme élégant de l’ancienne tradition à la clarté analytique des interprétations modernes, illustrant la richesse de cette petite œuvre et le génie de Ravel.

Episodes et anecdotes

L’histoire de “À la manière de Borodine” est parsemée de petites anecdotes qui éclairent non seulement la pièce elle-même, mais aussi l’esprit de son compositeur, Maurice Ravel, et de son entourage.

Le cri de guerre des Apaches

L’une des anecdotes les plus célèbres est liée au groupe d’artistes et d’intellectuels parisiens que Ravel fréquentait au début du XXe siècle, et qui se surnommaient “Les Apaches”. Ce nom, qui leur a été donné par un journaliste, faisait référence à leur caractère d’individus marginaux et rebelles. Ce qui est moins connu, c’est leur “cri de guerre” secret : un thème musical tiré du début de la Deuxième Symphonie d’Alexandre Borodine. Ce thème, joué et chanté en guise de reconnaissance, est devenu un symbole de leur amitié et de leur admiration pour le compositeur russe. C’est donc tout naturellement que Ravel, en acceptant le défi de composer un pastiche, a choisi Borodine comme sujet, en hommage à cette connivence musicale qui les unissait.

L’ami italien et le défi musical

L’idée même de la pièce ne vient pas de Ravel, mais d’un de ses amis, le compositeur italien Alfredo Casella. Casella avait déjà publié sa propre série de pastiches musicaux et a proposé à plusieurs compositeurs, dont Ravel, de s’y joindre. Ravel, avec son sens de l’humour et sa passion pour le pastiche (qu’il avait déjà pratiqué à d’autres occasions), a accepté le défi avec enthousiasme. C’est ce qui a donné naissance à ce diptyque, “À la manière de Borodine” et “À la manière de Chabrier”, deux pièces qui montrent sa capacité à imiter le style de compositeurs très différents, l’un russe et lyrique, l’autre français et clair.

Le pastiche et l’authenticité

L’anecdote la plus subtile, et la plus révélatrice du génie de Ravel, se trouve dans la musique elle-même. Ravel, en bon “faussaire génial” comme on l’a souvent appelé, ne se contente pas de copier Borodine. Il s’approprie le style et y ajoute sa propre patte. La pièce est une valse, une forme qui n’est pas particulièrement associée à Borodine. Ravel utilise cette forme populaire pour y insuffler l’âme slave, la mélancolie et le lyrisme caractéristiques du compositeur russe. C’est une œuvre qui, en apparence, est de Borodine, mais qui, dans les détails harmoniques et la finesse du phrasé, est indubitablement de Ravel. Cette dualité est une blague musicale interne pour ceux qui connaissent la musique des deux compositeurs.

La création en temps de paix… avant la guerre

La pièce a été créée en public en décembre 1913, lors d’un concert de la Société musicale indépendante. Ce fut un événement célébrant l’amitié entre musiciens, l’humour et la créativité. Personne ne pouvait se douter qu’un an plus tard, la Première Guerre mondiale éclaterait, et que la sérénité et la frivolité de ces échanges artistiques seraient balayées par le conflit. “À la manière de Borodine” reste donc un témoignage d’une époque de paix et de créativité artistique insouciante qui précéda le grand bouleversement du XXe siècle.

Compositions similaires

Les pastiches et hommages

À la manière de Chabrier, M.63/2 de Maurice Ravel : C’est le diptyque de la pièce. Ravel y imite le style énergique, clair et rythmique d’Emmanuel Chabrier, un autre compositeur qu’il admirait. Le contraste entre les deux pièces est parfait.

Tributes to a Master d’Alfredo Casella : L’ami de Ravel qui a inspiré la création du diptyque. Casella a écrit plusieurs hommages à des compositeurs comme Fauré et Debussy, et ses pièces partagent la même approche intellectuelle du pastiche.

Images oubliées de Claude Debussy : Debussy, contemporain et rival de Ravel, a également écrit des pièces qui empruntent à d’autres styles ou évoquent des ambiances étrangères. “Hommage à Rameau”, dans Images, Livre I, est un exemple de son approche du passé.

L’influence russe

Scheherazade, op. 35 de Nikolaï Rimski-Korsakov : Ravel admirait la musique russe et, comme son ami Borodine, Rimski-Korsakov était un maître de l’orchestration et du lyrisme oriental. Les couleurs orchestrales et l’atmosphère narrative de cette œuvre ont inspiré de nombreux compositeurs français.

Le poème de l’extase, op. 54 d’Alexandre Scriabine : Ravel appréciait également la musique de Scriabine. Bien que très différente, cette œuvre partage avec Ravel une grande sophistication harmonique et une exploration des couleurs sonores.

Le sacre du printemps d’Igor Stravinsky : Même si les styles sont différents, l’œuvre de Stravinsky a eu un impact énorme sur Ravel et ses contemporains. L’utilisation audacieuse du rythme et l’évocation d’un passé mythique ont des résonances avec l’intérêt de Ravel pour la musique nationale.

Les pièces pour piano et les miniatures

Préludes, Livre I et Livre II de Claude Debussy : Les préludes de Debussy sont des miniatures pour piano qui, comme “À la manière de Borodine”, explorent une idée musicale ou une atmosphère particulière. On y trouve des titres évocateurs comme “La fille aux cheveux de lin” ou “Les collines d’Anacapri”, qui sont similaires à l’idée d’une esquisse musicale.

Feuillets d’album de Claude Debussy : Ces petites pièces pour piano sont aussi de parfaits exemples de miniatures charmantes, qui partagent avec Ravel une grande finesse d’écriture.

Morceaux de fantaisie, op. 3 de Sergei Rachmaninov : Ces pièces pour piano partagent avec “À la manière de Borodine” une mélancolie et un lyrisme qui sont caractéristiques de la musique russe.

(Cet article est généré par Gemini. Et ce n’est qu’un document de référence pour découvrir des musiques que vous ne connaissez pas encore.)

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